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FRANCOIS HADJI-LAZARO: "ON NE S'EN SORTIRA JAMAIS"

Publié le par redskinhead de France

Pigalle, tournée générale ! François Hadji-Lazaro et sa bande reviennent avec un nouvel album au titre mi figue mi raisin, Des espoirs, et des concerts (voir le détail ici) jusqu’à la fin de l’été avec, le 14 avril, une station à Paris, à la Cigale, non loin de la rue des Martyrs et de son fameux bar-tabac...

Sur scène Pigalle c’est François François (batterie), Boubouche (basse), Gael Mesny (guitares) et bien sûr François Hadji-Lazaro qui a fondé le groupe en 1982 et que nous interviewons ci-dessous.

Sur Des espoirs, 6ème album studio (si l’on compte la compilation Neuf et occasion qui comportait 6 titres inédits), seul figure le nom de François Hadji-Lazaro.
 
 Et pour cause, il fait tout : auteur-compositeur-interprète, joueur d’une vingtaine d’instruments, de la vielle à roue aux guitares, de la mandoline, clarinette, accordéon chromatique à l’oud, de l’ukulélé à la cornemuse (sans oublier les samples et, petit dernier dans cet instrumentarium fourni, le pipa chinois). 
 
Multi-instrumentiste, donc, l’homme dont on connaît la trogne cinématographique, amateur des meilleures pistes en zinc de la capitale au côté, notamment, de champions du jeté de verre derrière la cravate comme les regrettés Roland Topor et Robert Giraud, semble posséder plusieurs personnalités.
 
Tantôt chanteur solo (sous son nom), fondateur des Garçons bouchers il fut aussi membre du super-groupe alternatif Los Carayos qui a fait les joies des soirées parisiennes et qui rassemblait notamment Manu Chao, Schultz (chanteur et guitariste de Parabellum) et Alain Wampas (premier contrebassiste des Wampas). N’oublions pas dans ce foisonnement la création du label de production phonographique Boucherie production aujourd’hui disparu.

Mais tout ça c’est du passé. Aujourd’hui Des espoirs est, comme on dit, dans les bacs. Force est de constater que François comme le bon vin s’améliore avec l’âge.
 
Ce disque est un recueil de nouvelles, une galerie de portraits de contemporains tous plus paumés les uns que les autres. Hadji-Lazaro les décrit de manière naturaliste, sans leur porter de jugement ni sans juger la société. Il se contente d’observer les dégâts.
 
Parfois l’auteur endosse la défroque de l’alcoolique, du douanier qui surveille la frontière, du chasseur qui aime sa proie, du petit braqueur, de l’autobiographe, voire de Graeme Allwright (reprise musclée du standard Il faut que je m’en aille).
 
D’autres fois il nous raconte une histoire avec la distance du narrateur : celle de la jeune fille perdue devant l’immensité de son écran, celle des habitants d’une cité, celle de la femme battue, du couple adultère et heureux, celle de la mère qui élève seule ses trois marmots, abandonnée par son mari.
 
Cette dernière qui passe inaperçue et qu’on oublie dès qu’on l’a vue, n’est pas de celle qu’on met dans une chanson, même pas dans une d’Alain Souchon. Petite vacherie bien sentie à l’endroit de la chanson française bien cirée dans laquelle on ne marche du pied gauche qu’avec les patins.
 
Chacune de ces petites pièces est éclairée par la sonorité d’un instrument particulier (ici un banjo bluegrass, là un reggae sur fond d’orgue et de cornemuse pesants, ailleurs une balade à la guitare folk ou une guitare slide et un accordéon cajun…) parfois souligné par une basse continue dont le bien nommé bourdon est comme une métaphore de la mort qui rode.

Pas de super-héros en vue, mais des gens banals qu’on croise tous les jours sans vraiment les voir. Bref, chez Pigalle ce n’est pas très bien fréquenté, c’est un peu comme la rue ou ces bistrots tellement cradingues qu’ils n’ont pas les moyens de s’appeler des lounges.
 
C’est une sorte de miroir du monde tel qu’il est, un peu piqué des vers. Des espoirs déçus ? Oui ! Mais pas décevant.

Interview de François Hadji-Lazaro par Olivier Bailly

Olivier Bailly : Qu’est-ce qui différencie Pigalle de François Hadji-Lazaro ?

François Hadji-Lazaro : Au départ Pigalle c’était trois amis. C’est moi qui leur ai donné envie de faire de la musique. Après on s’est retrouvés en duo. Ensuite je n’ai refait un groupe que parce qu’il y avait une demande. Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Trembley, personnage falot mais ô combien attachant (1986), disque où il y a Dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs, c’était le deuxième album. Et même le dernier.
 
Car à ce moment-là mon deuxième groupe, les Garçons bouchers, se mettait à marcher. Donc Pigalle ça toujours été une structure fluctuante. En parallèle je jouais aussi avec Los Carayos. Comme je m’ennuie très vite, j’avais trois formules. C’est pareil pour le studio. Regards affligés..., à part quelques interventions de musiciens, a été entièrement fait avec les machines. C’était le début des machines et ça m’a toujours intéressé.
 
L’album qui a suivi, Rire et pleurer (1993), était un vrai album de groupe. Voilà, c’est une question d’ennui. Tout comme on a fait une compil’ (Neuf & Occasion, 2008), la dernière, alors que j’avais déjà trois albums sous mon nom, j’avais envie que ça change. Sauf que là que là j’arrive à quatre structures différentes, je n’allais pas en monter une cinquième, ça devenait un peu trop !

OB : Dans l’écriture des textes qu’est-ce qui diffère ?

FHL : On retrouve une patte. Même dans Los Carayos, avec Schultz et Manu Chao, ou encore dans les Garçons bouchers, même si les thèmes sont différents et les rythmiques beaucoup plus violentes. On savait très bien qui avait écrit quoi. Je trouve ça très important.
 
Par contre chez Pigalle il y a tout un aspect rythmique qui n’existe pas dans les trois disques de François Hadji-Lazaro. Après on connaît aussi ne serait-ce qu’un timbre de voix, une façon d’écrire. Je me réfère aux musiques que je connais, comme la musique baroque, et j’utilise des fois, au grand étonnement de certains, pas forcément les accords mineurs et majeurs, mais les musique un peu modales, les bourdons, etc.
 
C’est pour ça qu’on reconnaît des choses. Je pense y mettre une patte suffisamment originale sinon je ne pense pas que je serais là depuis 25 ans !

OB : Des espoirs = no futur ?

FHL : Oui et non. Si je l’assumais je n’aurais pas fait d’enfant. Quand on a créé le label Boucherie production on considérait que le marché du disque était déjà mort. Notre marque de fabrique était d’être pessimistes et efficaces. Là c’est un peu pareil.
 
On peut très bien considérer que la vie, philosophiquement parlant, est effroyable et va dans le sens de quelque chose d’encore plus effroyable, et se dire qu’il y a toujours des parenthèses qui font qu’on y trouve du bonheur.

OB : La tonalité générale de l’album est assez fataliste. Il n’est question que de gens qui ne s’en sortiront jamais et pour qui tout est joué

FHL : C’est l’évidence de la société elle-même : on ne s’en sortira jamais. Mais ça n’empêche pas d’aller y chercher quelques petites pépites. Quand on écoute les chansons, même dans les plus effroyables, il y a toujours en permanence, par-ci par-là, un jeu de mot, un côté décalé.
 
Avec les Garçons bouchers c’était poussé à l’extrême. Il y avait des choses extrêmement violentes avec un humour à la hache. Là, c’est un peu pareil, même musicalement. La chansons Si on m’avait dit est assez effroyable, mais la musique est plutôt joyeuse. On pourrait imaginer sur cette musique une chanson chantée par une jeune fille prépubère.

OB : Des espoirs fait penser à un recueil de nouvelles où les instruments donnent une coloration particulière à chaque chanson, la nimbe d’un décor fantastique, festif, onirique, nostalgique, glauque…
FHL : Au niveau des textes, je me réfère beaucoup à la tradition de la chanson réaliste. Bon le terme chanson réaliste c’est pas beau, j’aimerais qu’on trouve autre chose …Dans la chanson réaliste, si on enlève l’arrangement, la façon de chanter, les voix - les voix et la façon de chanter changent tous les dix ans - on verra que la plupart du temps les thèmes et les personnages sont totalement intemporels.
 
Quant aux instruments j’ai une technique un peu spéciale. Comme j’écris les textes, la musique et les arrangements et que je n’ai pas besoin d’appeler untel pour qu’il vienne essayer voir si le violon sonne ou pas ou untel autre avec sa harpe, moi je peux à peu près tout essayer, et très vite. La technologie moderne, l’informatique permet ça. Ça me permet parfois de commencer les morceaux avec des ambiances musicales, même sans mélodie ni texte, des ambiances musicales avec instruments et c’est cette ambiance qui du coup va donner la mélodie.
 
Comme si un metteur en scène au cinéma partait d’abord du décor avant même d’avoir écrit le scénario. C’est vachement plaisant.
OB : Les thèmes de la chanson réaliste sont peu présents dans la chanson française actuelle
FHL : Têtes raides, on peut dire que c’est de la chanson réaliste. Des dizaines de groupes ont copié cette démarche. A la fin avec le label Boucherie on en avait marre de ces groupes. Il y a eu tellement de copies conformes que ça s’est cassé la gueule. Maintenant il n’y en a presque plus ou alors ça passe pour ringard - je trouve ça très bien parce que moi aussi je trouve ça ringard à part ceux qui ont commencé comme Têtes raides et qui ont ouvert des portes.
 
Bref c’était normal que ça se finisse, mais c’était tellement chiant et répétitif que ça a brusquement appelé le retour de la pop anglaise molle du genou. Du coup tout le monde se fout à rechanter en anglais. Je n’ai rien contre si ce n’est pas systématique. J’aurais préféré que ça ouvre la porte à des choses plus intéressantes comme des mélanges avec de la world music.

OB : Elle est un peu nombriliste la chanson qu’on entend aujourd’hui, non ?
FHL : Oui, c’est vrai, mais enfin il y a eu toujours ça. On peut considérer que Gainsbourg c’est de la chanson hyper nombriliste

OB : Peut-être que le talent fait la différence ?
FHL : Il y a surtout le problème de l’abstraction. Il faut manier l’abstraction avec dextérité. Souvent je trouve ringard le côté réaliste, mais quand on fait de l’abstraction contraint et forcé parce qu’on ne sait pas quoi faire autrement ça devient de l’abstraction en plastique et c’est bien pire. Et c’est souvent le cas.

OB : Pour le coup Des espoirs ne fait pas dans l’abstraction ni dans le virtuel

FHL : Bien qu’il y ait une chanson, Ophélie, qui parle d’une petite nana sur son ordinateur et qui se met à rêver. C’est comme le mec qui veut enculer les biches, je ne sais pas s’il y en a tant que ça. Moi j’ai essayé, ça court vite. Le seul moyen c’est d’enculer les vieilles biches. C’est un choix. Il y a celles qui courent le moins vite. Mais bon.

OB : Vous jouez de nombreux instruments de musique depuis longtemps. En découvrez-vous de nouveaux parfois ?
FHL : Oui, je joue sur scène un instrument dont je ne jouais pas avant, qui s’appelle la pipa, le luth chinois qui jusqu’au début du siècle n’était joué que par les femmes, mais je n’ai pas le temps de me déguiser…

OB : Qui voudrait parler d’elle semble une chanson assez représentative des personnages que vous décrivez dans le cd. A part vous qui voudrait parler de cette femme dont la "vie si futile, restera en rade" ?
FHL : Eh ben Alain Souchon ! Je le dis dans la chanson ! J’ai été correct, je lui ai demandé le droit, il ne m’a même pas répondu. C’est vrai qu’on peut comprendre que c’est un peu moqueur vis-à-vis de lui.
 
Cette chanson c’est un peu une référence au cinéma. Si on prend le cinéma français, je parle du cinéma subventionné, ça se passe chez les bobos avec des histoires de cul à trois francs cinquante entre le fils de Gérard qui se retrouve chez le mari de truc, etc. Et on ne parle toujours pas plus, ni dans les chansons de Souchon, ni dans le cinéma français, de vrais personnages.
 
Pourtant on est quand même depuis vingt ans sur les routes et ce genre de personnages on les voit. C’est pas vendeur. Tout comme les sujets difficiles. Dans un album sorti il y a dix ans, j’avais fait une chanson sur l’inceste. Il n’y a pas de chansons sur l’inceste. Dans ce disque je parle des femmes battues et il n’y a pas eu tellement de chansons là-dessus.
 
Mais la presse est méchante vis-à-vis de ces chansons. C’est mal vu, on est considéré comme un donneur de leçon quand on parle de ces sujets.

OB : Vous les traitez avec distance, pourtant, sans donner de leçons
FHL : Il y a donneur de leçon et donneur de leçon. Je n’aime pas non plus les chansons revendicatives. Mais ça reste ça. Le mode d’emploi, la façon d’enrober la chose est différente, mais ça reste de la chanson « engagée ». Sauf que si je n’aime pas le terme chanson réaliste celui de chanson engagée c’est encore pire !

OB : Vous n’abordez pas les questions sociales, mais vous décrivez la manière dont les individus sont broyés par un monde qui leur est hostile.
FHL : C’est la vision que j’ai des gens. En plus en voyant des gens très différents, il n’y a pas de règles, qu’on le veuille ou non. C’est plus compliqué que ça.
 
Je suis de "gôche", n’est-ce pas, et je vois des gens de gauche qui ont des idées de gauche parce qu’on leur a inculqué ces idées. Quand on les imagine dans des situations difficiles ils peuvent être bien pires que le vieux réac pourri raciste a qui on a mis ça dans la tête, mais qui, confronté à une situation X ou Y, se comportera vachement mieux que le type de gauche.
 
Il y a des gens qui dans l’histoire on fait des sacrifices complètement contradictoires avec leurs idées. Si l’être humain était soit bon soit mauvais, comme le définissent en général toutes les religions du monde entier, ça se saurait.

OB : Vous avez adapté des textes de Roland Topor. Y a-t-il d’autres auteurs avec qui vous aimeriez travaillez ?
FHL : Pas tellement, non. C’était un bon hasard. On m’a souvent posé la question. Jean Teulé m’avait conseillé de reprendre des chansons de Villon. Ça t’irait bien, m’avait-il dit. Mais quand on lit vraiment les textes de Villon. Déjà pour les comprendre ce n’est pas simple…
 
Avec Topor c’est un hasard. On étaient copains. On buvait des coups, on discutait. Un jour j’ai fini chez lui, souvent on finissait la nuit chez lui, et il m’a donné un petit recueil, pour lire, comme ça.
 
J’écris des chansons réalistes et pour la première fois je lisais un mec qui écrivais des chansons réalistes qui me plaisaient et qui n’avaient rien à voir avec ma façon d’écrire. Et c’est l’intérêt. Si c’est pour reprendre les textes d’un mec qui écrit comme je sais écrire… J’ai fini son recueil dans le peu de nuit qui restait, je l’ai appelé en fin de matinée et il m’a dit ok.
 
Il a eu un peu peur en écoutant les maquettes, mais à la sortie du disque on a discuté, on devait faire l’inverse. Je devais composer des musiques et lui écrire des textes pour un album à venir. Et il est mort un tout petit peu après.

OB : La chanson Je bois ma vie, c’est le versant triste de l’alcool ? Le portrait de quelqu’un qui aime se saouler plutôt que bien boire, contrairement à vous ?
FHL : Si j’avais suivi ma démarche adolescente et post-adolescente, je ne serais même pas là pour en parler ! J’étais parti pour me tuer directement. C’était la bouteille de Ricard entière, à tomber par terre. J’ai arrêté au moment où il fallait.
 
Dans la chanson il y a ce côté un peu absurde qui est « je vais arrêter, mais je n’arrête pas ». Et puis cette chanson c’était une référence à la musique cajun où en Louisiane ils traitent ces histoires-là avec un certain deuxième degré.
OB : Est-ce qu’il y a chez vous une nostalgie de ces comptoirs qu’on trouvait encore dans le Paris des années 80 ?
FHL : Je vais dire oui, parce que j’y ai fais des trucs délirants. Mais est-ce bien objectif ? Est-ce que je n’oublie pas exprès plein de choses ? Donc, je m’en méfie.

OB : Paris, la nuit, c’est fini ?
FHL : J’ai vécu jour et nuit à Pigalle. On pouvait vivre la nuit. Je me souviens qu’on ne dormait pas pendant des jours et des jours. Mais c’était déjà plus le Pigalle des bandes de Marseillais et de Corses où ça rigolait moyen la nuit.
 
Et puis c’est bien mignon la jolie gonzesse avec les cuisses à l’air, mais ça va si on n’a pas d’imagination. Si on en a on imagine immédiatement ce qui lui arrive, comment elle va finir…

OB : Dans une chanson de Pigalle !
FHL : Voilà ! C’est pour ça que je parle de ce fameux pessimisme constant.

OB : La Dernière fois est " la fin supposée" de La première fois, chanson extraite du deuxième album de Pigalle, sorti il y a vingt ans. Quel regard vous portez sur ces deux décennies, sur la crise du disque, notamment ?
FHL : Là effectivement j’y vois un côté plus politico-culturel. Ça va faire ancien combattant, mais si on remet dans le contexte, à Boucherie production, on a vite défini un rôle où l’on pouvait faire bouger les choses. Ce qui a été vrai. Si d’autres groupes et labels, Bondage mis à part, bref si tous les « traîtres ! » comme Têtes raides, Noir désir et autres Mano Negra (encore que la Mano c’est un peu différent)…

OB : …On cite les noms ?

FHL : Oh, moi, personne n’ose me toucher ! J’ai toujours la réputation du taré total ! Non, mais je regrette que ces groupes qui étaient forts à l’époque n’aient pas créé immédiatement leur structure. On se seraient retrouvés avec une douzaine de structures aussi fortes que Boucherie qui, quand ça a commencé à marcher, je peux vous dire que dans le milieu des majors, c’était alerte, alerte !

 
C’était un peu exagéré, mais avec l’arrivée de l’informatique, pendant les dix ans qui ont suivi, de 1990 au début des années 2000, je pense que les choses auraient pu changer si les labels s’étaient mis à faire la même chose. Même si on avait un petit rôle de joker, de lutins qui foutions la merde, on n’a pas eu la force qu’on aurait eu si on avait été plusieurs à faire bouger les choses.
source AGORA VOX
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