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Contre le fascisme: ligne de classe, de masse, sans compromis ( A.Gramsci)

Publié le par redskinhead de France

Ces quelques extraits sont issus d'un texte d'Antonio Gramsci écrit en 1924, alors que les fascistes étaient déjà au pouvoir en Italie : cependant, il est utile à la compréhension de la situation actuelle. D'abord parce qu'il pose la nature de classe du fascisme, porté par la petite-bourgeoisie, mise à mal par l'évolution du capitalisme, mais revancharde et haineuse envers la classe ouvrière, elle qui a toujours assuré le travail de police sociale contre celle-ci. Rien n'a changé et dans les figures sociales glorifiées par les fascistes, le commerçant, le petit patron, le cadre « moyen » sont toujours en bonne place.

 

Ensuite, Gramsci définit la tâche des communistes et son analyse, elle aussi est essentielle dans la période actuelle : elle est courageuse, car Gramsci refuse le maximalisme , c'est à dire le repli sur soi des révolutionnaires qui se refusent au travail quotidien au sein du prolétariat tel qu'il est tout en annonçant la révolution prochaine qui les dispenserait d'une ligne de masse. Mais Gramsci refuse aussi la ligne de compromis avec la social-démocratie au nom de la lutte contre le fascisme.

 

Sa voie : le combat partout et toujours, au sein de chaque village, de chaque usine, de chaque cellule syndicale,de chaque quartier. La lutte de classes sans concessions, mais à partir des combats prolétaires, pour leur intérêt immédiat sans jamais oublier leur intérêt permanent.

 

    On dit généralement, et nous aussi, communistes, l'affirmons fréquemment, que la situation italienne actuelle est caractérisée par la ruine des classes moyennes : c'est un fait, mais il s'agit d'en comprendre toute la portée. La ruine des classes moyennes est délétère, parce que le système capitaliste, loin de se développer, subit au contraire une limitation ; cette ruine n'est pas un phénomène en soi, susceptible d'être examiné à part et dont les conséquences puissent faire l'objet d'un traitement indépendant des conditions générales de l'économie capitaliste, cette ruine est la crise même du régime capitaliste qui ne réussit plus et ne pourra plus réussir à satisfaire les exigences vitales du peuple italien, qui ne réussit plus à assurer à la grande masse des Italiens le vivre et le couvert. Que la crise des classes moyennes se trouve être aujourd'hui au premier plan n'est qu'un fait politique contingent, ce n'est que l'apparence de cette période que, précisément pour cela, nous appelons « fasciste ». Pourquoi ? Parce que le fascisme est né et s'est développé, sur le terrain de la phase initiale de cette crise ; parce que le fascisme a lutté contre le prolétariat et qu'il est parvenu au pouvoir en exploitant et en organisant l'inconscience et l'esprit moutonnier de la petite bourgeoisie, ivre de haine contre la classe ouvrière qui parvenait, grâce à la force de son organisation, à atténuer, en ce qui la concernait, les contrecoups de la crise capitaliste. (…)

 

maquette-RS2F-14.pngLe monopole du crédit, le régime fiscal, la législation des loyers, ont écrasé la petite entreprise commerciale et industrielle : il y a eu un véritable transfert des richesses de la petite et de la moyenne bourgeoisie vers la grande bourgeoisie, sans que se développe en même temps l'appareil de production ; le petit producteur n'est même pas devenu un prolétaire ; il n'est qu'un affamé perpétuel, un malheureux sans espoir d'avenir. L'emploi de la violence fasciste pour contraindre les épargnants à investir leurs capitaux dans une direction déterminée n'a guère été fructueuse pour les petits industriels : quand la manœuvre a réussi, elle n'est parvenue qu'à transférer les effets de la crise d'une couche de la population sur une autre et a ainsi contribué à accroître et grossir encore le mécontentement et la défiance des épargnants à l'égard du monopole qui existe dans le domaine de la banque, monopole que vient aggraver la tactique de coups de main à laquelle les grandes entreprises doivent recourir pour s'assurer du crédit dans le marasme général. (…)

 

La caractéristique du fascisme consiste en ce qu'il est parvenu à constituer une organisation de masse de la petite bourgeoisie. C'est la première fois dans l'histoire qu'une chose pareille se produit. L'originalité du fascisme réside en ce qu'il a trouvé la forme d'organisation adaptée à une classe sociale qui a toujours été incapable d'avoir une unité et une idéologie unitaire : cette forme d'organisation est celle de l'armée en campagne. La Milice est donc le pivot du Parti National Fasciste ; on ne peut dissoudre la Milice sans dissoudre également le Parti tout entier. Il n'existe pas de Parti fasciste capable de transformer la quantité en qualité, pas de Parti fasciste qui soit un appareil de sélection politique pour une classe ou pour une couche sociale ; il n'existe qu'un agrégat mécanique indifférencié et indifférenciable du point de vue des capacités intellectuelles et politiques, qui ne vit que parce qu'il a acquis dans la guerre civile un esprit de corps extrêmement vigoureux, grossièrement identifié avec l'idéologie nationale. Sorti du terrain de l'organisation militaire, le fascisme n'a rien donné et il ne peut rien donner, et d'ailleurs même sur ce terrain, ce qu'il peut donner est très relatif.


Ainsi fabriqué par les circonstances, le fascisme est incapable de réaliser aucun de ses postulats idéologiques. Le fascisme dit aujourd'hui qu'il veut conquérir l'État, il dit en même temps vouloir devenir un phénomène essentiellement rural. Il est difficile de comprendre comment ces deux affirmations peuvent aller de pair. Pour conquérir l'État, il faut être capable de remplacer la classe dominante dans les fonctions qui ont une importance essentielle pour le gouvernement de la société. En Italie, comme dans tous les pays capitalistes, conquérir l'État signifie avant tout conquérir l'usine, avoir la possibilité de l'emporter sur les capitalistes dans la direction des forces productives du pays. Ceci peut être fait par la classe ouvrière, ce ne peut être fait par la petite bourgeoisie qui n'a aucune fonction essentielle dans le domaine de la production et qui, au sein de l'usine, en tant que catégorie industrielle, exerce essentiellement une fonction policière qui n'est pas productive. La petite bourgeoisie ne peut conquérir l'État qu'en s'alliant à la classe ouvrière, qu'en acceptant le programme de la classe ouvrière, c'est-à-dire en acceptant de remplacer le Parlement par le système des Soviets dans l'organisation de l'État et le capitalisme par le communisme dans l'organisation de l'économie nationale et internationale. ( …)

 

antifascisme.png



Quelles doivent être l'attitude politique et la tactique de notre Parti dans la situation actuelle ?


Si la situation est « démocratique », c'est parce que les grandes masses travailleuses sont désorganisées, dispersées, pulvérisées au sein du peuple indifférencié. C'est pourquoi, quel que puisse être le développement immédiat de la crise, nous pouvons seulement prévoir une amélioration de la position politique de la classe ouvrière et non sa lutte victorieuse pour le pouvoir. La tâche essentielle de notre parti réside dans la conquête de la majorité de la classe travailleuse, la phase que nous traversons n'est pas celle de la lutte directe pour le pouvoir, mais une phase préparatoire, de transition vers la lutte pour le pouvoir, en somme, c'est une phase d'agitation, de propagande, d'organisation. Ce qui n'exclut évidemment pas que des luttes sanglantes puissent se produire, et que notre Parti ne doive, bien entendu, s'y préparer dès maintenant et être prêt à les affronter ; au contraire : ces luttes elles-mêmes doivent être replacées dans le cadre de la phase de transition ; il faut y voir des éléments de propagande et d'agitation en vue de la conquête de la majorité. S'il existe dans notre parti des groupes ou des tendances qui, par fanatisme, voudraient forcer la situation, il faudra lutter contre eux au nom du Parti tout entier, au nom des intérêts vitaux et permanents de la révolution prolétarienne italienne. La crise Matteotti nous a apporté, sur ce point, plusieurs enseignements. Elle nous a appris que les masses, après trois ans de terreur et d'oppression, sont devenues très prudentes et ne veulent avancer qu'à pas comptés. Cette prudence s'appelle réformisme, elle s'appelle maximalisme, elle s'appelle « bloc des oppositions ».

 

Elle est certainement destinée à disparaître, et même dans un laps de temps assez court ; mais en attendant, elle existe et ne peut être surmontée que si, jour après jour, en toute occasion, à tout moment, tout en continuant d'avancer, nous ne perdons pas le contact avec l'ensemble de la classe travailleuse. De même, il nous faut lutter contre toute tendance de droite qui chercherait un compromis avec les oppositions, qui tenterait d'entraver les développements révolutionnaires de notre tactique et le travail de préparation de la phase à venir.


La première tâche de notre parti consiste à s'équiper de façon à devenir capable de remplir sa mission historique. Il doit y avoir dans chaque usine, dans chaque village, une cellule communiste qui représente le Parti et l'Internationale ; elle doit savoir travailler politiquement et être capable d'initiative. Pour cela, il faut lutter contre une certaine passivité qui existe encore dans nos rangs, contre la tendance à ne pas élargir les rangs du Parti. Nous devons au contraire devenir un grand parti, nous devons chercher à attirer dans nos organisations le plus grand nombre possible d'ouvriers et de paysans révolutionnaires pour les préparer à la lutte, pour former des organisateurs et des dirigeants de masse, pour élever leur niveau politique. L'État ouvrier et paysan ne peut être construit que si la révolution dispose de beaucoup d'éléments politiquement qualifiés ; la lutte pour la révolution ne peut être victorieuse que si les grandes masses sont encadrées et guidées dans toutes leurs formations locales par des camarades honnêtes et capables. Autrement, on en reviendrait vraiment, comme le proclament les réactionnaires, aux années 1919-1920, c'est-à-dire aux années de l'impuissance prolétarienne, aux années de la démagogie maximaliste, aux années de la défaite des classes laborieuses. Nous non plus, communistes, nous ne voulons pas revenir aux années 1919-1920.


Un grand travail doit être accompli par le Parti dans le domaine syndical. Sans grandes organisations syndicales on ne sort pas de la démocratie parlementaire. Libre aux réformistes de ne vouloir que de petits syndicats, libre à eux de ne former que des corporations d'ouvriers qualifiés. Nous, communistes, nous voulons le contraire de ce que veulent les réformistes et nous devons lutter pour réorganiser les grandes masses. Certes, il faut poser le problème concrètement et pas seulement de façon formelle. Si les masses ont déserté le syndicat, c'est parce que la Confédération générale du travail, qui est pourtant d'une grande efficacité politique (elle n'est rien d'autre que le Parti unitaire), ne se préoccupe pas des intérêts vitaux des masses. Nous ne pouvons envisager de créer un nouvel organisme qui ait pour but de pallier l'impéritie de la Confédération ; nous pouvons cependant, et nous le devons, nous attaquer au problème de développer, grâce aux cellules d'entreprise et de village, une activité effective. Le Parti communiste représente la totalité des intérêts et des aspirations de la classe travailleuse : nous ne sommes pas un simple parti parlementaire.

 

Notre parti mène par conséquent une véritable et authentique action syndicale, il se met à la tête des masses jusque dans les petites luttes quotidiennes pour les salaires, pour la durée de la journée de travail, pour la discipline d'usine, pour les logements, pour le pain.

 

Nos cellules doivent pousser les Comités d'entreprise à incorporer toutes les activités prolétariennes dans leur fonctionnement. Il faut par conséquent susciter dans les usines un vaste mouvement susceptible de déboucher sur une organisation de comités prolétariens de ville élus directement par les masses : dans la crise sociale qui s'annonce, ces comités pourraient prendre en charge les intérêts généraux de tout le peuple travailleur. Si elle s'accompagne du retour dans l'organisation de tous les éléments d'avant-garde pour y combattre les actuels dirigeants réformistes et maximalistes, cette action effective dans l'usine et dans le village revalorisera le syndicat en lui rendant un contenu et une efficacité. Quiconque se tient aujourd'hui à l'écart des syndicats n'est pas un militant révolutionnaire mais un allié des réformistes : il pourra bien faire de la phraséologie anarchisante, il ne fera pas bouger d'un millimètre les conditions inexorables dans lesquelles se déroule la lutte réelle.

 

A.Gramsci, La crise italienne, 1924



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