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A propos des tueurs d'enfants: Jurgen Bartsch et la société, Ulrike Meinhof

Publié le par redskinhead de France

283920_244315655588784_121612214525796_842664_4311025_n.jpgC’était une triste évidence, une fatalité inévitable : en cette période de campagne électorale, le meurtre précédé du viol d’une adolescente ne pouvait que donner lieu à déferlante indigne, voyeuriste et obscène de la part des politiques.
Les crimes sexuels sont atroces, commis sur des adultes ou sur des adolescents ou sur des enfants. La pédophilie , les meurtres d'enfants  sont une réalité terrible de nos sociétés, une réalité dont on devrait se saisir pour la combattre.  
Mais on ne fait rien, ou plutôt on fait des choses qui n’ont absolument rien à voir avec la recherche de solutions. Ainsi, en quoi la diffusion de la photo des victimes, partout dans les médias, partout sur les réseaux sociaux apporte-t-elle une quelconque information, qui justifie le voyeurisme dans lequel on cherche à tous nous faire plonger ?
De même, en quoi toutes ces lois, toute cette répression impitoyable qu’on promet à ceux qui ont déjà commis l’irréparable change-t-elle quoi que ce soit à la commission de nouveaux crimes ? En rien, puisque cela fait des années que les lois sont durcies, qu’elles vont jusqu’à la peine de mort dans certains pays sans que les crimes cessent pour autant.
La plupart d’entre eux sont d’ailleurs commis par une personne de l’entourage de la jeune victime , comme pour les viols sur adultes. Mais ce sont rarement de ces crimes sexuels là, ceux qui sont la majorité dont les médias et les politiques parlent.
C’est normal : parler de la réalité , ce serait forcément remettre en cause les mythes relatifs aux crimes sexuels où à la pédophilie, et notamment le principal : cette idée que ces violences n’auraient aucun lien avec l’organisation actuelle de la société capitaliste et patriarcale, qu’elles seraient l’œuvres d’individus monstrueux, habités d’un mal étranger, des individus inhumains qui rôderaient autour d’un monde presque parfait fait de bourgades paisibles et de familles heureuses.
Ulrike Meinhof aura elle aussi, en tant que militante de la Fraction Armée Rouge , été présentée par les médias et les juges comme un monstre en dehors de l’humanité. Comme les membres de la RAF ne tuaient pas les innocents, la propagande gouvernementale les avait accusés de vouloir empoisonner les citernes d’eau, pour casser la popularité du groupe qui était énorme.
Bien avant d’être elle-même soumise à la répression la plus brutale, Ulrike, alors journaliste dans un grand journal de gauche, avait pourtant franchi le pas qui sépare les bons citoyens et les honnêtes gens : les premiers se vautrent dans l’appel au sang et à la violence , sous prétexte de condamner le sang et la violence. Les seconds cherchent ce qui amène socialement le sang et la violence la plus horrible.
Aujourd’hui, aucun quotidien de gauche ne reprendrait un texte comme celui que nous reproduisons ci-dessous, un texte qui, à propos d’un tueur en série évoque les mécanismes sociaux qui l’ont conduit à devenir ce qu’il est, et qui conduiront de nouveau aux mêmes drames.
Ce texte date des années 70 : mais comme le disait Ulrike, rien n’a changé et rien ne changera tant que les problèmes ne seront pas pris à la racine.  Personne ne le fera à notre place et surtout pas une gauche, qui désormais se vautre dans les mêmes impostures sécuritaires que la droite.
barriere-mentale2.jpgJürgen Bartsch et la société
 
Pendant le procès de Jürgen Bartsch, tout ce qu’il était possible d’imaginer a été fait pour que la question la plus importante de ce procès ne soit ni abordée ni rendue visible publiquement. Cette question n’a été mentionnée ni dans le verdict, ni dans les délibérations précédant le verdict, ni dans les justifications du verdict, mais tout ce qui s’est passé tournait en réalité autour d’une seule question: l’histoire de Jürgen Bartsch. En fait, plus le procès accumulait des détails sordides sur la triste vie de cet individu, plus ce procès rendait visible les souffrances, non seulement de cet individu, mais aussi de la société dans laquelle cet individu a vécu et tué, souffrances d’une ampleur difficile à imaginer et qui nous ont été racontées dans leurs détails les plus violents. La cour a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter que les conditions de vie ayant présidées au développement de Jürgen Bartsch ne soient remises en cause pendant le procès; la cour a fait tout son possible pour que le jeune homme ne puisse pas changer, s’améliorer, arrêter de tuer, et a par conséquent tout aussi bien empêché que ce produire quelque chose d’autre: elle a empêché que ce procès puisse servir à démontrer que des changements sont nécessaires et possibles dans notre société. En concluant le procès, le juge a déclaré: "Puisse Dieu vous aider à contrôler vos pulsions criminelles". Puisse Dieu nous aider à fermer les yeux sur l’énorme besoin de changement de notre société.
 
Ça a commencé dès l’adoption. La famille Bartsch a dû attendre sept ans avant de pouvoir l’adopter. A cause de  "l’arbre généalogique à risque", parce que son père était un travailleur manuel pauvre, qu’il avait déjà une famille, que sa mère avait vécu pendant des années toute seule et qu’elle était pauvre et malade. Une bouillie eugéniste nazie se trouvait dans la tête des travailleurs sociaux. Le fait que l’enfant avait déjà passé un an dans un orphelinat aurait dû inquiéter et amener à une décision d’adoption rapide, à lui donner rapidement une situation claire, un refuge. Mais le juge lui-même a fourni un bon exemple de ce biologisme nazi quand il a rappelé à la mère, qu’après tout, l’enfant n’était pas "de sa propre chair et de son propre sang"; le père avait la même position, déclarant qu’il aurait traité différemment un fils qui aurait été le sien. Personne ne lui a jamais dit que la génétique n’était pas déterminante, que ce qui comptait, c’était l’environnement, que l’éducation, et elle seule, était ce qui importait pour le futur d’un enfant. Le processus d’adoption traîna donc pendant sept ans; pendant sept ans, l’enfant fut maintenu dans une situation d’incertitude, comme si l’adoption était une honte pour un enfant plutôt qu’une chance et un honneur pour les parents.
 
Les parents placèrent ensuite l’enfant en foyer parce que la mère a dû aider à la boutique, parce que la compétition est dure pour un boucher de quartier, parce qu’une personne qui vend de la nourriture doit se battre pour survivre. Il ne trouvèrent pas d’autre solution qu’un foyer, parce que cette société fonctionne encore d’une manière telle que les dix millions de femmes travaillant à l’extérieur de leur maison, parmi lesquelles on trouve près d’un million de femmes ayant des enfants âgés de moins de quatorze ans, doivent lutter pour trouver des endroits à peu près corrects pour leurs enfants et ce retrouvent seules à porter la double charge de leur travail et des responsabilités familiales, bien qu’elles soient une composante indispensable de la force de travail. Mais il n’y a pas de place pour des crèches, l’école toute la journée n’est qu’une utopie et le travail à temps partiel rarement possible.
 
Il alla ensuite dans un autre foyer parce qu’il était devenu trop âgé pour le premier, parce que les foyers sont organisés par tranches d’âge: des foyers pour les nourrissons, d’autres pour les jeunes enfants, d’autres encore pour les adolescents, … Les enfants grandissant dans ces foyers, déjà effrayé-e-s et déboussolé-e-s par leurs histoires propres, sont à nouveau déstabilisé-e-s par les changements réguliers de lieu, durant lesquels illes perdent à chaque fois leurs ami-e-s, leurs assistant-e-s, et leur environnement familier. C’est une absurdité pédagogique sans nom, tout le monde le sait, et personne n’y change rien. Ce n’est pas que les gens ne savent pas: il n’y tout simplement pas d’argent ou de volonté de changer ça.
 
Il a atterri dans un foyer catholique à la prussienne, avec cinquante enfants par dortoir, les châtiments corporels comme système éducatif, les enfants marchant en rang pour la promenade, une surveillance stricte le soir, et des études religieuses. Aucune agence gouvernementale de protection de la jeunesse ne se décida à fermer cet endroit et à interdire définitivement à ces ‘travailleurs sociaux’ d’exercer.
 
Il fit donc une fugue, on le ramena, et il fugua encore. Il se retrouva au commissariat: la police devint sa nouvelle institution éducative, en harmonie avec la voix de parachutiste de son père expliquant qu’une petite rouste n’a jamais tué personne et qu’il fallait bien qu’il s’endurcisse. Cet enfant n’a pas été élevé pour vivre mais pour vivre en caserne, et il pense que les casernes sont la vie. On n’apprend pas aux parents à élever leurs enfants, pas du tout.
 
Puis, il tomba amoureux d’un garçon. Il aima ce garçon, et il apprit vite que l’homosexualité était "sale" et qu’il n’avait pas le droit d’aimer. Il se retrouva donc coupable d’aimer parce qu’une morale anachronique centrée sur la reproduction affirmait que l’amour, ce qu’il y a de meilleur en lui, en nous, était "sale".  Sa plus belle qualité était maintenant devenue une "saleté", il dût donc le faire en secret, et finit par l’acheter, ce qui était maintenant punissable puisque il s’agissait de "prostitution", dans une société qui avait fait de l’amour quelque chose de dégueulasse qui ne peut qu’être acheté.
 
Il a ensuite essayé d’en parler, mais la préoccupation principale du foyer catholique était le silence. Son père écoutait la radio pendant le trajet d’une demi-heure à l’abattoir et regardait la télévision les samedi soir. L’aumônier l’a enfin écouté, alors qu’un enfant était déjà mort à ce stade, et l’a renvoyé à Dieu, en silence, refusant la seule réponse humaine possible: que quelqu’un-e s’intéresse finalement à cet enfant, même la justice, que quelqu’un-e se rende compte que cet enfant était humain comme nous tous et ne pouvait donc pas vivre sans communication.
 
Il entra par la suite en apprentissage en boucherie, son père maudissant la loi réglementant le travail des enfants qui interdisait à l’adolescent de travailler soixante heures par semaine. Le père l’embaucha donc dans sa propre boutique et le fit travailler soixante heures par semaine, et la protection de la jeunesse ne fit toujours rien, ne vérifia rien, n’empêcha rien. Les inspecteurs ne sont pas bien payés, ne sont pas assez nombreux, les infractions ne sont donc pas découvertes. Jürgen Bratsch travailla donc soixante heures par semaine, sans vie privée, sans amis. Il mena une double vie parce qu’il ne voulait pas être détruit. Il était solide, il n’avait pas encore abandonné à ce stade bien que tout le monde l’ai abandonné, à l’image de cette protection de la jeunesse qui ne souhaitait pas faire respecter la réglementation sur le travail des enfants.
 
La mère a, par contre, fait une excellente impression au juge, parce qu’elle est "propre" et "organisée", qu’elle l’a toujours fait manger sa soupe et porter sa montre uniquement le dimanche, et qu’elle lui a appris à être ponctuel et à se laver tous les jours. Elle a fait peser sur le fils les exigences, dignes d’une caserne, du père: un système d’éducation approprié au traintrain de l’industrie, mais pas à un enfant, une méthode qui exige énormément sans rien donner, à un moment de la vie où un enfant doit pouvoir demander énormément et ne donner que très peu pour pouvoir grandir et s’épanouir. Une femme qui n’a pas été formée à ça et une méthode d’éducation très courante ont causé des souffrances inimaginables à cet enfant.
 
Mais la cour n’a pas vu le désastre représenté par ces institutions éducatives. La cour ne trouvait pas que la question des châtiments corporels était pertinente pour le procès. La cour trouvait qu’une semaine de soixante heures était la bonne manière de lui éviter de traîner dans la rue. La cour trouvait très bien la mère et ses méthodes militaires, et quand l’expert Paul Bresser témoigna, il prit bien soin de se limiter à ce que la cour souhaitait entendre. L’expert Hans Ludwig Lauber a analysé les lettres que Bartsch a gravé sur les murs de sa cellule comme rien d’autre qu’une technique pour s’attirer de la sympathie, alors qu’elles étaient des signes précis et authentiques de ses besoins insatisfaits, inscrits sur un mur trop tard, terriblement trop tard. L’avocat de la défense a dit que tout ce qui comptait, c’était l’accusé, et pas l’homme qu’on a pas soutenu et dont la vie a été détruite. L’avocat de la défense n’a pas compris qu’il ne défendait pas seulement Jürgen Bartsch, mais aussi des centaines de milliers d’enfants, d’enfants adoptés, d’enfants placés en foyer, d’enfants homosexuels, d’enfants battus, d’enfants exploités. Il n’a rien dit de tout ça.
 
Le juge n’a rien dit non plus quand le public dans la salle d’audience a applaudi et à crié "Bravo" tandis que la condamnation a perpétuité était prononcée, alors qu’il est normalement, et heureusement, interdit de manifester son approbation ou sa colère dans une salle d’audience. La juge n’a rien dit quand la société s’est donné bonne conscience en haïssant un tueur d’enfant, une bonne conscience dont elle a besoin pour pouvoir se taire quand des enfants sont assassinés au Vietnam ou quand d’autres enfants sont soumis à des traitements barbares dans son pays, à l’intérieur de ses familles. Personne n’a tapé sur les doigts du juge quand il a déclaré aux journalistes avoir utilisé son intuition pour rendre le verdict, que son amour de la musique l’avait aidé à prendre une décision tandis qu’il jouait du piano. Quelque chose de socialement affreux était en jeu à Wuppertal, et le juge jouait du piano pour atteindre l’illumination.
 
La vie de Jürgen Bartsch est en ruine. Mais la criminalité au centre du procès de Wuppertal continue, rien n’a changé. On créé toujours des tueurs d’enfants et des juges joueurs de piano. L’affaire Bartsch avait fort justement appelée été l’affaire du siècle. La cour et les médias ont tout fait pour qu’il n’en soit finalement rien. Tout continue.
 
Traduction faite par Murmures
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